Une femme comme moi.
Assis sur la rive, la ou finit l'ombre de cet arbre noir, chercher dans
les rougeurs du couchant la première étoile sur la mer. Et écouter le
vent du soir, qui réveille une à une les feuilles : elles murmurent
toutes ensemble doucement, le murmure s'éloigne peu à peu. C'est
l'heure de notre mort quotidienne, l'instant où chaque homme aperçoit
son destin comme une loi étrangère à sa vie, un élément séparé de lui,
sans aucun pouvoir sur sa conscience ni sur son sort. Chaque jour, à
cette heure nous commençons à mourir. Cette mort du temps et de la
nature, ce coucher universel, n'advient pas en dehors de nous, mais au
plus profond de notre esprit. La lumière s'éteint lentement. Comme si
le monde perdait conscience de soi-même. Et l'homme oublie les
heureuses tristesses, les mauvaises fortunes, le jeu cruel des jours et
des saisons.
C. Malaparte - Une femme comme moi